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Hala Kambris

Heaven without People (Ghada el 3eid) sur Netflix: le film libanais qui mérite son succ s international

Peu après sa sortie sur Netflix, Heaven Without People, le film libanais sur la liste la plus regardée de la plateforme au Liban, gagne encore en popularité. Un succès bien mérité et le fruit d’un travail de longue haleine et d’efforts laborieux dans plus d’un domaine.




Rencontre avec l’auteur et le réalisateur Lucien Bourjeili.


Q- Celui qui a vu votre film en 2017 et le revoit aujourd’hui, y observe un état des lieux sur le Liban et sur les dirigeants et leur relation avec les communautés, et réalise que les choses n’ont pas changé. Pensez-vous qu’il en sera de même dans quelques années, ou êtes-vous plus optimiste après le relatif réveil de la population ?


R- Les choses n’ont jamais changé de façon drastique au Liban, et cela est principalement dû à un système politique régressif et confessionnel, dissocié de ce siècle. Si nous passons à un état civil moderne laïc, les soi-disant chefs commenceraient à perdre de leur pouvoir à gouverner notre pays. Ce qui est encourageant, c’est l’engagement des jeunes à réaliser cette transition et ce changement. Lorsqu’un peuple opprimé s’efforce de se libérer, ce n’est jamais une bataille facile ; elle peut être gagnée avec de la persévérance, du sacrifice et du courage.



Q- Dans les conversations de cette famille réunie autour du déjeuner de Pâques, nous pouvons deviner votre côté militant qui transparaît au travers des personnages discutant du système au Liban. Considérez-vous que ce soit, même indirectement, un film engagé ?


R- Le film ne traite pas de politique, mais le sujet y est fortement présent, comme il l’est dans tout le Liban. On en dit beaucoup au Déjeuner, mais en même temps ce qui est le plus important est dans le non-dit. Lentement, nous découvrons que les membres de la famille ne sont pas les héros habituels du cinéma, ce sont des gens normaux confrontés à des problèmes mesquins ou changeants, et une existence pleine de contradictions et de dualisme. La vérité se mêle à des mensonges et la franchise vient parfois dévoiler les choses comme une gifle. Le film ne cherche pas à classer ses personnages dans des affiliations idéologiques, mais plutôt à accéder à la complexité humaine.




Q- Si vous nous parliez un peu du côté technique de ce film ? Des défis que le tournage a posé ? (une question dont vous avez probablement déjà parlé, mais nous aimerions quand même entendre un peu l’histoire du choix de cette maison libanaise où tous les évènements se déroulent, et qui nous rappelle la maison de nos parents, de détails sur le tournage, la production…).


R- C’est une rencontre avec une famille, les relations intimes entre ses membres et leur histoire commune. Pour cette raison, et pour assurer la crédibilité du passé et des interactions subtiles de cette famille, le choix des acteurs non professionnels, non connus du public, est venu améliorer l’expérience immersive globale du public dans cette famille jusqu’à confondre fiction et réalité. Cela a exigé de faire de nombreux ateliers et répétitions, (type « camp ») pour une expérience plus vraie et immersive.


Quant à la maison, c’est en fait la maison de mes parents, celle où j’ai grandi. L’anecdote est que j’ai toujours voulu faire mon premier film dans cette maison (ou au moins une scène) parce que j’adore la vue sur Beyrouth depuis son balcon, que finalement nous n’avons que brièvement montrée pour rester dans l’ambiance du film.




Q- Le côté psychologique est très présent dans le script : les problèmes de société y sont décortiqués, comme les non-dits et les rancœurs en famille, les superstitions religieuses, les soucis d’argent en passant par le snobisme vain. Comment ce travail d’étude psychologique a-t-il été mené ?


R- Chacun des personnages a un profil psychologique différent, comme dans toute famille. Je voulais que le film soit un simple miroir, reflétant ce qui est dans la vie réelle à travers les points de vue divergents, les traits psychologiques, le type de personnalité de ses personnages et leur fossé générationnel. Le texte était destiné à engager le public et à susciter la réflexion pour lui. L’objectif est aussi de mieux comprendre la psyché humaine en général et les Libanais en particulier tout en comprenant la faiblesse, la dualité et la complexité de l’âme des personnages, quelles que soient leurs réactions, qui vont parfois au-delà de ce qui est acceptable dans les limites du racisme et du sectarisme, et les aimer ou les détester en raison de leur capacité à vivre avec toutes ces plaies dans leur âme qui affectent leurs relations avec les personnes les plus proches.



Q- L’aventure internationale : le film a été lauréat de 7 prix dont Dubai International Film Festival 2017 et Festival des cinémas arabes à Paris 2018, et the Lebanese Movie Awards 2019 en plus de 21 nominations. Aujourd’hui, son ajout sur Netflix est la cerise sur le gâteau. Quel est votre feedback sur ce parcours et sur ce dernier exploit ?


R- Netflix est devenu un acteur majeur sur la scène cinématographique internationale et transforme rapidement l’industrie d’une manière qui évolue quotidiennement. Bien sûr, il y a toujours le sentiment unique pour un public de regarder un film dans une pièce sombre avec d’autres et de partager cette expérience avec eux, mais actuellement non disponible dans de nombreuses parties du monde en raison de la quarantaine, mais il y a maintenant cette alternative qui rend les films beaucoup plus accessibles partout et à tout moment de la journée, ce qui aide sûrement à atteindre plus de gens. Ce qui a été une très bonne surprise, c’est de voir que le film a atteint la première place en termes de films les plus regardés sur Netflix au Liban pendant deux jours consécutifs jusqu’à présent. J’ai aussi été inondé de commentaires sincères du public du Liban et du monde entier et ça c’était la cerise sur le gâteau.




Q-Et puis last but not least comme on dit, seriez-vous en train de concocter le script d’un nouveau « ghada » pour le public?


R-Je travaille sur un deuxième long métrage qui explore, mais bien sûr d’une manière très différente, la vie de certains personnages du film mais continue une histoire dérivée, menant à un nouveau voyage au-delà de la maison familiale.




Lucien Bourjeily est écrivain, réalisateur de cinéma et metteur en scène. Il fut l’auteur des premiers spectacles de théâtre d’improvisation professionnelle au Moyen-Orient, défiant les lois de censure et bravant pacifiquement les barrières sociales et culturelles, pour lancer le dialogue et encourager la liberté d’expression comme force de changement positif. Il est titulaire d’un MFA en réalisation de l’Université Loyola Marymount à Los Angeles.



Twitter : @lucienbourjeily

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